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Couple + travail : s'épauler, la clé de la réussite - ELLE - 17 février 2014

17 Février 2014 Publié dans #Presse

Couple + travail : s'épauler, la clé de la réussite

Se sacrifier pour la carrière de son conjoint, c‘est fini. Aujourd'hui, en couple, chacun s’appuie sur l'autre pour réussir.

« Fonce ! » Alexis, 39 ans, ingénieur responsable de projets dans une grosse boîte, n’a pas hésité une minute. Quand sa femme Anne a accepté ce super poste de directrice de la communication qui allait chambouler leur vie et, accessoirement, celle de leurs trois enfants, il a applaudi des deux mains. Aujourd’hui, c’est lui qui emmène les enfants à l’école et qui, le soir, prend le relais de la baby-sitter, quitte à rallumer son ordinateur une fois qu’ils sont couchés : « On a débuté notre vie professionnelle ensemble. Après la naissance de notre premier enfant, c’est Anne qui a fait des efforts en termes d’organisation et d’horaires, elle a même pris un congé parental à l'arrivée du troisième pour me permettre d’évoluer dans un nouveau poste. C’était son tour. A charge de revanche. » Couple exemplaire ? Cas unique ? Vrai phénomène, au contraire. Selon Sandrine Meyfret, coach et sociologue (1), ces couples à « double carrière » sont de plus en plus nombreux. Ringardisant le modèle traditionnel de l’homme pourvoyeur de revenus et de la femme « gagne-petit ». Pour ces femmes aussi diplômées que leur conjoint, tirer un trait sur leurs projets professionnels est inimaginable. Nouveauté : pour leur mari aussi ! Le credo de ces couples ? S’épanouir chacun dans son boulot tout en construisant une famille. Avec un contrat implicite : c'est chacun son tour. « Pour eux, le boulot est primordial mais ils ne veulent pas tout y sacrifier, analyse Sandrine Meyfret. Ce qui est fascinant, c’est que, même à un haut niveau de responsabilités, ils contribuent à remettre en question le principe de disponibilité totale envers l’entreprise. En cela, ce sont des précurseurs de la génération Y », ces moins de 30 ans qui entretiennent un rapport au travail plus distant en imposant leur rythme, leurs horaires et un lien plus décomplexé avec leur hiérarchie.

Corollaire de cette flexibilité, ces couples échangent beaucoup, tout le temps. Accepter une promotion, changer de poste, se lancer dans un projet de création d’entreprise... toutes les décisions sont prises à deux. Comme celle d’aller chercher le petit dernier à la crèche. Comment font-ils pour se répartir les rôles en permanence ? En échangeant mails et coups de fil ou en partageant un agenda en ligne pour organiser les activités des enfants et le menu du soir. « Avec mon mari Nicolas, entrepreneur, on s’envoie des dizaines de SMS par jour et, le dimanche, on fait le point autour de la table, explique Claire-Marie, 32 ans, commerciale, mère de deux enfants en bas âge. C’est un peu comme gérer une PME, c’est parfois épuisant mais, quand l’un de nous deux décroche un nouveau client ou une promotion, ça nous booste. »

« Je ne voulais pas qu’il puisse penser que j’avais atteint mes limites »

« Ce qui est réjouissant chez ces couples, remarque la psychanalyste Sylviane Giampino (2), c’est que, pour eux, l’investissement professionnel est une source d’excitation, de plaisir et de valorisation de soi qui rejaillit sur le couple et la famille. C’est plus compliqué quand ils se sentent en compétition l’un avec l’autre ou que le travail devient le ciment du couple. Il peut y avoir des rapports de pouvoir liés à un défaut d’empathie et de soutien inconditionnel à l’autre. » Devenir rivaux est alors un vrai risque. « Avec mon mari, nous sommes des partenaires de réussite, reconnaît Emma, directrice générale de la filiale française d’une grande entreprise américaine. Parfois, c’est vrai, cela crée un peu de pression : assurer dans ce nouveau poste, c’était non seulement essentiel pour moi et pour la boîte, mais aussi pour mon mari. Je ne voulais pas qu’il puisse penser que j’avais atteint mes limites. Mais, quand l’un dépasse l’autre, et, surtout, quand c’est la femme qui décroche un poste plus important que son conjoint, cela reste un peu difficile. Cela nous est arrivé et ça m’a donné l’impression que mon ambition mettait ma famille et mon couple en danger. Heureusement, ces doutes ne durent pas ! » Comme des équilibristes, ces couples-là sont toujours sur le fil du rasoir, brouillant les frontières entre vie perso et vie pro et réinventant un mode de vie à géométrie variable, à des années-lumière de celui de leurs parents. « Ma mère en travaillant n‘a jamais atteint le même niveau de responsabilités que moi, raconte Mathilde, 39 ans, directrice dans une agence de communication financière et mère de trois enfants. Elle m’admire mais trouve quand même que c’est un peu le bordel chez moi, que nous menons une vie de fous et que je ne fais pas assez la cuisine ! »

« C’était dur de sentir que les gens attendaient que je fasse un faux pas »

L'arrivée des enfants est un test parfois douloureux pour ces bi-actifs. Corinne, 49 ans, deux ados, se souvient : « A la naissance de mon premier bébé, j’en ai pris plein la tronche. J’ai été promue à mon retour de congé maternité et je suis partie trois semaines en mission à Taïwan. Beaucoup de femmes autour de moi m‘assuraient que mon enfant en souffrirait. Mais il avait aussi un père, cet enfant ! C’était dur de sentir que les gens attendaient que je fasse un faux pas. » Dur de bousculer à ce point le schéma traditionnel où la mère est seule responsable de la vie de famille. Toutes celles qui sont passées par là le confirment. « L’égalité de statut, de responsabilités et de revenus dans le couple va mécaniquement renforcer la pression pour une répartition plus équitable des tâches domestiques, commente Sylviane Giampino. Les pères, même les plus impliqués, le sont beaucoup moins que leur femme qui travaille. » « A job égal, je continue à tout faire à la maison ! » constate ainsi Mathilde. Lucille, directrice de collection d'une grande marque, s’en amuse, elle : « Mon mari est super fier de moi et de mon titre. Il me valorise beaucoup. Mais il lui arrive encore de prétendre que je m’amuse toute la journée. Alors que j’ai autant d’objectifs de résultat que lui. »

Malgré tout, le couple à double carrière serait-il l’avenir du couple ? Stéphanie Talleux, consultante et experte en carrières nomades, en est persuadée : « Passer toute sa vie à gravir les échelons dans la même boîte, c’est terminé. Aujourd’hui, quelle que soit la formation, on peut faire face à des périodes de chômage, des obligations de reconversion : c’est une chance alors de pouvoir s’appuyer sur la solidité de son conjoint. » Encore faut-il que le couple sache se ménager ce que Sandrine Meyfret appelle des « zones de sacré » : tous ces moments où les rituels familiaux s’imposent sans que le travail interfère. Sans Smartphone, sans agenda, sans impératifs. Alexis explique : « Parce que les enfants se plaignaient de ne plus nous voir, on a décidé de dîner plus souvent tous ensemble. Et ça a rendu tout le monde plus cool. » Sylviane Giampino ne dit pas autre chose : « Il est fondamental que, dans leur vie privée, les hommes et les femmes sachent qu’ils ont la liberté d’instaurer un autre système de valeurs dans les rapports amoureux et dans les rapports familiaux que ceux de la performance et de la réussite. » Pour être un couple à double carrière qui dure.

(1) Auteure de « Le Couple à double carrière : une figure qui réinvente les frontières entre vie privée et vie professionnelle ? » (éd. Connaissances et savoirs).

(2) Auteure de « Les Mères qui travaillent sont-elles coupables ? » (éd. Albin Michel).

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