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Horripilants, les enfants ? - ELLE - 25 février 2014

25 Février 2014 Publié dans #Presse

Horripilants, les enfants ?

A quoi bon le cacher : notre progéniture adorée a le don de nous pousser à bout. Faut-il vraiment s’en inquiéter ?

 

Sur le papier, le tableau est parfait.Avec Anton, son fils de 6 ans, Jeanne coche toutes les cases de la parentalité (sur)investie : pour lui, elle veut le meilleur. Et espère secrètement être payée de retour. Son enfant fait sa joie, assidu au conservatoire, rayonnant dans ses petits pantalons Bonton, curieux devant une toile de Frida Kahlo comme face à un morceau de Daft Punk… Gentil, ouvert, joueur. Parfait, on vous dit ! Sauf que Jeanne a un petit problème. Ça n’est pas grand-chose, mais son fils aime faire le chien. Et ça la rend dingue. « A la maison, Anton est toujours en train de marcher à quatre pattes, la langue pendante, réclamant une caresse. C’est gentil, bien sûr. Et je lui fais souvent des câlins. Mais il n’arrête pas d’insister, de me coller. Au bout d’un moment, c’est plus fort que moi, ça m’exaspère et je lui parle sèchement… » Évidemment, Jeanne culpabilise de rabrouer ainsi son petit garçon. Cet énervement insidieux, quel parent ne l’a pas connu ? Qui n’a pas réagi de façon démesurée, excédée, à l’énergie bouillonnante de ses enfants, à leur excitation joyeuse ? Qu’importe le geste ou l’attitude de l’enfant : l’agacement de l’adulte peut surgir à tout moment. Loin d’être une question mineure, cette exaspération sourde est l’un des non-dits ultimes de la vie familiale. « C’est évidemment la chose la plus répandue du monde, sourit Stéphane Clerget, psychiatre (1). Les parents sont parfois un peu hypocrites sur le sujet. Ils vont dire à l’extérieur que tout va bien, mais évoqueront rarement cette irritation de tous les instants. »

 

« Tous les parents sont exaspérés, c’est assez normal »

Que cache ce sentiment désagréable ? Est-ce la faute de l’enfant ? La nôtre ? Et comment y faire face ? « Il ne faut pas s’en vouloir. Tous les parents sont exaspérés, c’est assez normal », rassure Stéphane Clerget. Le plus souvent, cette réaction provient du décalage entre nos attentes et la réalité. A l’heure de l’enfant roi, nous surinvestissons tellement nos bambins, nous attendons tant de bonheur de notre relation avec eux que nous ne pouvons qu’être déçus. Tel père emmène sa fille à la patinoire, croyant lui faire vivre un moment inoubliable, telle mère embarque ses deux oursons à une expo d’art contemporain, et voilà nos parents modèles fulminant sur le trottoir, tirant par la main des enfants qui ne cessent de se plaindre et de répéter que « c’est nul »... Résultat : des parents ulcérés qui traitent leur progéniture de « pourris gâtés » et s’en veulent d’avoir été aussi cool.

 

« Aujourd’hui, les parents se mettent une pression folle »

 

Et si nous avions trop sacralisé ces moments avec eux, au point d’en oublier qu’ils étaient des enfants ? L’exaspération est d’autant plus grande que nous lisons dans leur comportement le présage de ce qu’ils seront demain. « Je suis parfois inquiet pour Mia, avoue le papa de la patinoire. Quand elle fait des histoires, c’est absurde, mais je me dis qu’elle ne s’en sortira jamais plus tard, qu’elle est capricieuse et se lasse de tout… » Commentaire de Sylviane Giampino, psychanalyste (2) : « Aujourd’hui, les parents se mettent une pression folle : ils cherchent à faire parfaitement les choses pour aujourd’hui, mais aussi pour demain. Comme s’il y avait un lien entre ce qui se passe maintenant et ce qui se passera dans dix ans… » Non seulement nous plaçons la barre très haut pour que tout soit nickel, tout le temps, mais, en plus, nous voyons dans chaque moment négatif un signe du futur : notre enfant ne sera-t-il pas « à problèmes » ?…

Il vaut mieux esquiver plutôt que répondre agressivement

 

Dans ces conditions, comment ne pas s’ulcérer à la moindre sortie de route ? Pour autant, rassurons-nous, l’irritation des parents est parfois vraiment justifiée. Car les enfants peuvent être, à dessein, insupportables. Derrière leur apparente gentillesse se cachent des demandes insistantes qui rendent fou… « Les enfants adorent jouer les idiots : ils aiment répéter cinquante fois la même question naïve, faire semblant de ne pas comprendre, de ne pas savoir s’habiller… C’est normal. Ils ont constamment besoin d’être assurés de notre amour, de vérifier que le lien existe toujours », commente Sylviane Giampino. Les parents ont tendance à croire qu’une fois que leur enfant a franchi certaines étapes il va grandir une fois pour toutes. Mais pas du tout. « Au fil de sa croissance, il veut s’assurer que, au-delà de ses nouvelles compétences, il est toujours aimé pour lui-même, comme au début, lorsqu’il était bébé. Il cherche à éprouver la “bienveillance inconditionnelle“ du parent… » C’est pour cela qu’Anton pourchasse sa maman à travers la maison en faisant le chien… L’enfant nous « cherche ». Littéralement. Doit-il nous trouver ? « On n’est pas obligé de lui répondre à chaque fois, note Stéphane Clerget. On peut différer, lui dire qu’on jouera plus tard avec lui à autre chose. Mais il faut aussi accepter d’être présent dans la journée et de répondre à certaines demandes… » En tout cas, le pédopsychiatre note qu’il vaut mieux esquiver plutôt que répondre agressivement. Sinon, la spirale négative est enclenchée. Un mécanisme parfois difficile à éviter. Car l’enfant nous tend le miroir de nos propres travers. « J’ai souffert toute ma vie de ma nervosité, de mon côté angoissé. Et cela m’irrite de voir mon fils se ronger les ongles, sautiller dans tous les sens. J’ai peur qu’il n’hérite de mes défauts… », avoue Tristan, 34 ans.

 

Il faut se préparer à affronter les enfants

 

Et si l’on acceptait que nos enfants puissent nous ressembler sans que cela fasse d’eux des inadaptés ? Dans bien des cas, les parents prompts à s’excéder sont ceux qui ont du mal à poser des limites. Notamment lors de ce moment crucial : le retour du travail. « Lorsqu’ils rentrent le soir, certains parents lancent des ordres vagues à la cantonade, sans être vraiment convaincus, sans hiérarchiser les messages. Du coup, l’agitation des enfants monte… jusqu’à ce que le parent explose, note Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne (3). Face à cela, il vaut mieux formuler des messages clairs, avec assurance, prendre le temps de fixer précisément les limites de ce qu’on autorise. » Et intervenir doucement mais fermement dès que ce n’est pas le cas. « Souvent, les parents ne sont pas assez présents à la situation, à ce qu’ils font », ajoute Béatrice Copper-Royer. Fatigués, l’esprit encore occupé par leur travail, ils pensent que les choses vont aller tout seul. Mais non. Il faut se préparer à affronter les enfants, anticiper le fait qu’ils vont être bruyants, agités, incontrôlables. Bref, l’éducation, c’est un boulot de tous les instants. Une attention sans cesse renouvelée.

 

« Les parents sont des passeurs, c’est normal qu’ils rament »

 

Sylviane Giampino va plus loin. Elle explique que le vrai, le principal problème est le temps. Pour elle, les enfants ne vivent pas au tempo du monde moderne. « Alors que les parents évoluent dans un monde professionnel où priment de plus en plus la rapidité, l’efficacité, la fluidité, les enfants sont comme des grains de sable qui bloquent les rouages de cette belle machinerie », remarque-t-elle. Quand il rentre à la maison, soudé à son Smartphone, le parent moderne est comme une Porsche qui file à 220 sur l’autoroute et qui, tout d’un coup, face à l’enfant, se retrouve coincé derrière une 2 CV qui fait du 30 à l’heure et zigzague dans tous les sens… Évidemment, cela peut être horripilant. Mais c’est aussi une chance. Car les enfants nous sortent de notre obsession de l’efficacité et nous rendent plus humains. « Ce sont des humaniseurs ralentisseurs, ils désordonnent le monde. » Pour Sylviane Giampino, le parent est un « sas » : celui qui fait la jonction entre le monde de l’enfance et celui de la société. Tiraillé entre ces deux temps, ces deux logiques, obligé de passer constamment de l’une à l’autre, le parent ne peut que vaciller. « Les parents sont des passeurs, c’est normal qu’ils rament », dit-elle joliment.

(1) Co-auteur de « Parents, osez-vous faire obéir ! » (éd. Albin Michel).
(2) Auteure de « Nos enfants sous haute surveillance » (Albin Michel).
(3) Auteure de « Le jour où les enfants s’en vont » (Albin Michel).

 

Source : http://www.elle.fr/Maman/Mon-enfant/Education/Horripilants-les-enfants-2677296

 

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