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On ne devient pas mauvais parent parce qu’on divorce - 16 juin 2014

16 Juin 2014 , Rédigé par Sylviane Giampino, Gérard Schmit, Michel Dugnat Publié dans #Presse

Trop subversif pour les uns, pas assez pour les autres, le projet de loi sur l'autorité parentale est aujourd'hui en débat à l'Assemblée. Serions-nous dans l’hémicycle et dans la rue en pleine névrose familiale?

Tribune publiée sur Libération.fr le 16 juin 2014.

http://www.liberation.fr/societe/2014/06/16/on-ne-devient-pas-mauvais-parent-parce-qu-on-divorce_1042674

TRIBUNE

Trop subversif pour les uns, pas assez pour les autres, le projet de loi sur l'autorité parentale est aujourd'hui en débat à l'Assemblée. Serions-nous dans l’hémicycle et dans la rue en pleine névrose familiale?

Ce lundi reprend à l’Assemblée nationale la discussion autour de la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant que les députés du groupe socialiste et les députés écologistes ont déposé le 1er avril. Lors d’une première présentation en mai, pour 20 articles, pas moins de 600 amendements ont été déposés et ont provoqué des débats dont la teneur montre à quel point, dès qu’il s’agit de famille et d’enfants, l’irraisonné et l’emballement nous guettent. Il nous faut donc comprendre pourquoi légiférer sur les questions familiales soulève en France des résistances au point de réunir, dans un même accord sur les vertus du blocage, des intérêts politiques et des groupes totalement divergents. «Touche pas à ma famille» pourrait devenir leur slogan commun. Tous d’accord pour être contre un projet, parce qu’il est trop subversif pour les uns, pas assez pour les autres. Serions-nous dans l’hémicycle et dans la rue en pleine névrose familiale?

Quelques rappels de base s’imposent, avec pondération, car aucune loi, aucun «spécialiste», ne peut dire ce qu’est une bonne famille. D’autant que famille et société sont en évolution et en interactions constantes.

Chacun sait qu’en dehors de situations extrêmes, l’enfant a besoin de ses deux parents et de se sentir chez lui au domicile de l’un comme de l’autre. C’est la force symbolique de la double domiciliation proposée dans le projet, quel que soit le rythme convenu de la présence de l’enfant. Sortir des signifiants blessants d’enfants «hébergés», au risque de penser qu’il y aurait un parent «principal» et un parent «secondaire» permettra de surcroît aux services d’éducation et de soin de considérer les parents avec une meilleure égalité.

RECONNAISSANCE DU «BEAU PARENT»

Chacun sait aussi que dans la suite des divorces, de nouvelles familles se fondent. Dans la réalité de ces familles «recomposées», ce qu’il est convenu d’appeler le «beau-parent» occupe une place dans la vie des enfants, et réciproquement. En instaurant la possibilité, mais non l’obligation, d’un accord des deux parents pour que le nouveau conjoint puisse exercer des actes de la vie quotidienne, la proposition de loi offre une sortie de clandestinité, une reconnaissance du lien affectif entre les enfants et les «beaux-parents». Ils préfèrent les nommer «le copain de ma mère», ou «la femme de mon père»; conscients qu’ils n’ont qu’un père et qu’une mère, ils butent sur les mots père et mère ici qualifiés de «beaux».

Le projet de loi ne propose pas un statut, on le lui reproche aussi. Mais il peut être prudent d’éviter que les adultes comme les enfants ne prennent leurs fantasmes pour des réalités. Le beau-parent peut avoir un rôle tutélaire bénéfique, mais il n’est pas un parent dans la place symbolique, l’origine et la dette de vie.

Chacun sait, malheureusement, que la fréquence des divorces augmente, avec leur triste cortège de déstabilisations affectives et économiques. La famille est la caisse de résonance des pressions sociétales et des idéaux inatteignables. Le couple est le premier fusible qui saute. Aux inégalités homme femme dans la vie commune concernant les tâches parentales, le travail, les revenus, s’ajoutent les inégalités père mère dans la rupture, concernant la prise en charge des enfants et la situation financière. Femmes et hommes sont égaux dans la blessure et les résistances à poser sereinement la question des enfants s’expliquent. Devenir parent revient à signer un pacte d’interdépendance à durée illimitée avec l’autre. Or le divorceprésentifie cette interdépendance que l’époque et son injonction «être soi» secomplaisent à dénier. Les parents doivent en même temps faire le deuil de leur couple et réaliser les obligations de la coparentalité. C’est au pire moment que les décisions conséquentes sur les enfants, l’argent, les domiciles seront prises. Dans ce contexte douloureux, les parents, pour tenir le cap, doivent sentir qu’ils ne sont pas jugés, que divorcer ne fait pas d’eux des mauvais parents, et être encouragés à se parler.

LA FAMILLE, UN ESPACE DE NÉVROTISATION

C’est ce signal que le projet de loi adresse en instaurant le recours à une médiation, qu’au besoin le juge peut imposer et que l’état finance. Les parents ont besoin d’être soutenus et valorisés dans leur recherche pour tenir debout et tenir les deux bouts: éviter le sacrifice de la trajectoire de l’un ou de l’autre; et garantir aux enfants la loyauté psychologique de se référer à l’autre parent, malgré les obstacles de la réalité matérielle, géographique ou temporelle. Cela demande courage et abnégation. La plupart des parents en font preuve, les beaux-parents aussi. Il est important de le reconnaître et de les y aider.

On aurait aimé trouver dans ce projet une impulsion plus claire pour que les pères sortent dans la vie commune comme dans la séparation d’une paternité d’intention, encore insuffisamment réalisée. Mais imposer un modèle de parentalité paritaire, contre un autre dit traditionnel, de complémentarité entre les sexes est-ce la solution? La norme du bon parent divorcé n’existe pas plus que la norme du bon parent tout court. Les résistances à ce projet de loi s’expliquent aussi par une angoisse de l’indifférencié des rôles paternels et maternels, de l’indifférencié entre hommes et femmes. Angoisse qui doit être entendue, analysée et dépassée. Parité et égalité n’équivalent pas à similarité. Il nous faut viser l’égalité sensible entre hommes et femmes, entre pères et mères, mais celle-ci n’est solvable ni dans la comptabilité des temps ni dans la revendication d’une primauté maternelle ou paternelle sur l’enfant. Il est temps de penser la famille comme une constellation de liens verticaux et horizontaux symboliquement repérés et nommés dans la vérité, l’importance, la différence des places occupées.

Cette proposition de loi est un préambule à ce qui devra être affronté: un débat de fond. Une révision de l’ensemble de nos illusions infantiles sur la famille idéalisée et la place de l’enfant entre sacré et objet de droit. L’irrationnel qui surgit en France quand on touche à la famille est celui des rêveurs qui occultent que si la famille est un refuge affectif, elle est aussi un espace de névrotisation, de pouvoir, tout autant que la société. Chacun se construit mieux dans l’entrelacs de l’une à l’autre. Si le couple conjugal se meurt, la coparentalité demeure dans une séparation consciente de l’intérêt de l’enfant et qui préserve pour chaque parent une chance de poursuivre sa route d’homme et de femme et de reconstruire son espoir de bonheur, pour le transmettre à ses enfants.

Sylviane GIAMPINO Psychanalyste, psychologue, fondatrice de l'Association Nationale des psychologues petite enfance A.NA.PSY.p.e,Gérard SCHMIT Professeur de Pédopsychiatrie à l'UFR de médecine de Reims et Michel DUGNAT Pedopsychiatre, service universitaire de pédopsychiatrie CHU Sainte Marguerite de Marseille

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