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Sexe et partage des tâches font-ils bon ménage ? - Elle - 16 mai 2014

16 Mai 2014 , Rédigé par Sylviane Giampino Publié dans #Presse

Interview parue dans ELLE le 16 mai 2014.

Sexe et partage des tâches font-ils bon ménage ?

Une étude publiée dans une revue scientifique américaine relance le (faux) débat sur la compatibilité entre égalité et désir sexuel.

« Le ménage, un tue l’amour pour les hommes », « Plus un homme fait le ménage, moins il a de rapports sexuels », « Les hommes dévoués aux tâches ménagères perdent leur virilité sexuelle », « Faire le ménage ou faire l’amour, les hommes doivent choisir ». Des slogans pour nostalgiques du patriarcat ? Non, les titres de journaux français après la diffusion d’une étude publiée dans le numéro de février de la Revue américaine de sociologie et intitulée « Egalitarisme, travail ménager et fréquence des relations sexuelles dans le couple ». Son objectif? Interroger une possible corrélation entre le type de tâches ménagères effectuées par les couples mariés et le nombre de leurs relations sexuelles. Ses résultats ? Lorsque les femmes se chargent seules des tâches qualifiées par les chercheurs de « traditionnellement féminines » (cuisine, vaisselle, ménage, repassage, courses…) les couples auraient en moyenne 1,6 fois plus de relations sexuelles que ceux dans lesquels ces tâches sont assumées par les hommes seuls (4,8 fois par mois contre 3,2 fois). Quand les hommes participent seuls aux tâches dites « typiquement masculines » (entretien de l’auto ou du jardin, paiement des factures…) les couples feraient également l’amour plus souvent que lorsque les femmes s'occupent seules de ces corvées.

Un balais dans la marre pour ceux qui pensent qu’un tour d’aspirateur est la promesse d’une soirée romantique. Cette promesse résulte pourtant d’une précédente étude réalisée sur la même base de données* et parue en 2009. Ses auteurs, Constance Gager, sociologue à l’Université de Montclair et son collègue Scott Yabiku ont en effet constaté que plus un individu fait le ménage, plus il fait l’amour, qu’il soit un homme ou une femme. « Les deux études ne sont pas si contradictoires, commente Constance Gager, car nous savons que les hommes passent plus de temps dans les tâches dites « masculines » et les femmes dans les tâches dites « féminines ». Les conclusions de cette nouvelle étude doivent cependant être nuancées car elles se fondent, comme les nôtres, sur une base de données vieille de quinze ans. Il s’agit de l’US National Survey of Families and Households, collectée dans les années 90 auprès des couples mariés américains. C’était pour nous la plus importante base de donnée disponible. Mais depuis les années 90, la société a changé, la division des tâches a évoluée et les hommes ont notamment augmenté le temps passé à s’occuper des enfants ».

L’étude parue dans la Revue américaine de sociologie a cependant relancé un débat vieux comme les stéréotypes : si les hommes et les femmes se ressemblent trop, pourront-ils encore se désirer ? “Does a more equal marriage mean less sex?” titrait ainsi en mars le New York Times. L’auteur de l’article, la thérapeute de couple Lori Gotlieb, décrit des couples épuisés par tant de partage, se relaxant le soir chacun de son côté (lui sur Pornhub, elle sur Pinterest !) et des patients en pleine confusion (« Je comprends ce qu’est un mariage 50/50 mais qu’est que le sexe à 50/50? » demande l’un d’eux). Elle s’interroge : les valeurs d’égalité sont-elles exportables dans la chambre à coucher ? Une consoeur du Washington Post n’a pas hésité à qualifier cet article de « missile dans la guerre des sexes »… Pour vivre heureux, vivons genrés ?

L’érotisme serait-il soluble dans le liquide vaisselle ? La controverse est d’autant plus discutable que rien ne prouve par ailleurs que sexe et répartition des tâches ménagères soient liés. « Trouver une corrélation entre les deux ne démontre pas qu’il existe un lien de causalité, nuance prudemment Sabino Kornrich, chercheur à l'Institut Juan March de Madrid qui a dirigé l'étude publiée dans la Revue américaine de sociologie**. Pour expliquer nos résultats nous avançons la possibilité qu’il existe une sorte de scénario sexuel définit par le genre, et dans lequel se conduire selon ce genre est important pour l’apparition du désir sexuel et le passage à l’acte”. Selon ce concept de « scripts sexuels » élaboré dans les années 70, la sexualité serait le résultat d’une éducation et d’une socialisation, traduisant des normes indiquant ce qui est acceptable ou attendu. En résumé, un homme couvert de cambouis est dans le script. Celui qui repasse une chemise serait est hors champs. « Je ne pense pas que ces résultats resteront vrais dans les années qui viennent ou qu’ils soient le reflet de comportements « naturels », poursuit-il. Ils mettent en lumière un ensemble d’idéaux et de croyances qui vont très probablement évoluer ».

Ne resterait-il plus aux hommes et aux femmes que les tâches ménagères pour se prouver qu’ils ne sont pas les mêmes? « Impossible d’imaginer mon mari avec un chiffon à poussière, s’exclame Mathilde 55 ans. Oui, cela m’enlèverait tout désir. Je préfère payer une femme de ménage pour s’en occuper ». « Pour moi c’est un non-problème, je ne comprends même pas la question, jure Camille, 24 ans. Mon mec fait la vaisselle ? Il repasse le linge ? ça ne me fait ni chaud ni froid. C’est juste normal !».

Le désir se nourrit de la différence, nous dit-on. Un autre lieu commun? « Le désir nait d’une certaine distance, oui, mais elle ne se résume pas à la différence sexuée, répond la sexologue Mireille Dubois Chevalier. Sinon il serait par exemple impossible de désirer une personne de même sexe. Dans les couples très fraternels, voire fusionnels, qui font tout ensemble, le désir peut manquer, non pas à cause de la confusion des rôles mais de cette trop grande fusion.». Selon elle le désir n’est d’ailleurs pas le seul facteur à envisager. « Dans un couple égalitaire, où chacun vérifie qu’il n’est pas lésé par rapport à l’autre, la sexualité peut avoir une fonction de punition-récompense. Mais c’est un équilibre forcément instable ! Dans les couples qui ont une vision plus équitable qu’égalitaire de la répartition des tâches, chacun fait un pas vers l’autre et s’ajuste en permanence : « Elle travaille autant que moi, pas de raison que j’en fasse moins qu’elle » se dira par exemple l’homme. Le désir se nourrit de la gratitude ressentie envers ce regard attentif ».

Quel est l’impact des représentations culturelles sur le désir ? « Elles nous influencent bien sûr, note la psychanalyste Sylviane Giampino*** mais aucune étude ne pourra mesurer à quel point chacun s’invente un monde pour trouver sa jouissance. Les hommes et les femmes ont plus d’un tour dans leur libido. Ils sont capables de créer des jeux et des scénarios qui heureusement ne sont pas totalement dépendants de cette question : qui a passé l’aspirateur ? »

Indépendamment des conclusions des études sur le sujet, et qui attendent encore confirmation, on peut s’interroger sur la pertinence du parallèle entre sexe et tâches ménagères, utilisé comme argument militant par certaines féministes. Par exemple Sheryl Sandberg, la directrice de Facebook, qui affirme que rien n’est plus érotique qu’un homme qui fait la vaisselle…Vraiment ?

« Le partage des tâches est souvent présenté comme un plaisir, un avantage, une opportunité constate François Fatoux, délégué général de l’Orse**** et auteur de « Et si on en finissait avec la ménagère » (Belin). Le discours est celui-ci : « si vous investissez le quotidien familial, vous serez plus créatifs, plus épanouis, vous ferez plus souvent l’amour ». La dimension de contrainte, de répétition, de fatigue est totalement occultée. Le partage est présenté comme un enjeu de performance et non d’égalité ».

Pour Sylviane Giampino, poser la question en ces termes – plus ou moins de sexe-, c’est renforcer la peur des hommes d’être dévirilisés. « Dans les représentations, la sphère familiale reste féminine et surtout maternelle. Etre acteur dans cette sphère, c’est pour les hommes être face à un double risque : d’identification à leur propre mère et d’infantilisation - « je fais ce que maman veut pour être un bon fils »-. Cette double inquiétude explique en partie leur résistance. Promouvoir l’idée que si ils font bien les choses, ils seront gratifiés- par plus d’amour ou de plaisir sexuel- c’est les maintenir dans une posture d’enfant. La compagne devient la mère qui a le pouvoir de récompense ou de punition. Cela, oui, risque d’abîmer le désir ».

N’est-il donc pas préférable d’élever le débat au dessus du tablier ? « Les femmes d’aujourd’hui ne désirent plus les petits garçon sages qui rangent la maison pour obéir à maman, ni des petits garçons désobéissants qui refusent de faire la vaisselle pour lui résister conclu Sylviane Giampino. Elles préfèrent des hommes qui assument autant qu’elles les responsabilités concrètes d’un quotidien qui n’est transcendant pour personne, mais qui, s’il est mieux partagé permet de mieux respirer ensemble». En faisant l’amour. Ou pas. Mais pas la guerre.

Laure Leter

* « Who Has the time ? The relationship between Household labor time and sexual frequency ». Parue dans le journal of family Issues en octobre 2009.

** avec les sociologues de l'université de Washington Julie Brines et Katrina Leupp

*** Auteur de « Les femmes qui travaillent sont-elles coupables » (Albin Michel).

**** Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises

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