Vouloir faire de ses enfants des petits génies est risqué - Madame Le figaro - 29 novembre 2014
Vouloir faire de ses enfants des petits génies est risqué
Par Sandra Franrenet | Le 29 novembre 2014
Sti-mu-la-tion ! Jamais quatre syllabes n’ont eu autant le vent en poupe dans le monde merveilleux de la pédagogie enfantine. S’il est vrai que nos enfants possèdent une plasticité cérébrale doublée d’une sensibilité créatrice très développées, ils n’en restent pas moins des petits êtres en développement Et n’ont rien à voir avec des machines à ingurgiter. L’éclairage de nos experts.
Sport, ateliers, sorties culturelles, animations pédagogiques… Junior est devenu une petite personne qu’il faut stimuler à tout prix. Et gare aux illuminés tentés de prononcer le mot « télé » ! Diabolisée, cette ancienne « baby-sitter » bon marché a été remplacée par une foultitude d’activités censées éveiller la curiosité de nos rejetons dès le berceau. « On nous appelle de plus en plus souvent pour savoir si nous proposons des sorties conçues spécialement pour les enfants », confirme Lucinda De Cicco, fondatrice de Baby Prestige, une agence haut de gamme destinée aux familles aisées. Haro sur les nounous qui jouent aux gardiennes de bac à sable ; les parents recherchent désormais la « super nanny » capable de distraire leurs chères têtes blondes tout en leur apprenant des choses utiles.
Loin de pouvoir s’offrir les services de cette super agence, Sophie, 38 ans, a fait de son mieux. « Lorsque Mina était petite, je me mettais une sacrée pression pour l’éveiller. Dès que j’entendais parler de contes lus à la bibliothèque ou d’un atelier de poterie, je l’inscrivais », se souvient avec humour cette trentenaire. Avec l’arrivée d’une petite sœur, le nombre d'activité s'est réduit, et la tendance s’est confirmée à la naissance du petit dernier. « À cinq, nous sommes devenus moins mobiles. Les sorties sont un peu plus rares mais cela ne nous empêche pas de faire des choses à la maison. Je les laisse également davantage jouer tous seuls », avoue cette mère de famille (presque) décomplexée.
« On stérilise les premières découvertes alors qu’elles sont essentielles »
Faut-il lui jeter la pierre ? Au contraire, répond Marlène Schiappa, présidente de l’association Maman travaille. « Je suis pour qu’on foute la paix aux enfants ! » s’exclame-t-elle sans langue de bois après une vive prise de conscience au Sénégal. « J’étais en reportage et je me souviens avoir observé un groupe d’enfants jouer avec des bouteilles vides et des bouchons. Ma première réaction de mère occidentale a été de les plaindre… Jusqu’à ce que je réalise que les jouets que nous offrons à nos enfants constituent des versions plus polluantes et plus coûteuses que les bouteilles que ces petits s’échinaient à reboucher ! » raconte-t-elle.
« Plus coûteuse », c’est sûr. Plus pédagogique aussi. Pour le meilleur ? Pas selon Sylviane Giampino. « La plupart des jeux destinés aux tout-petits ont une arrière-pensée pédagogique qui élude non seulement les aspects esthétique, artistique et créatif mais réduisent à sa portion congrue la part dédiée à la découverte. Bilan des courses : on fabrique des passifs de l’apprentissage », alerte cette psychologue et psychanalyste spécialiste de la petite enfance. Son conseil ? Bouder ces joujoux pour inciter nos bambins à utiliser pleinement leur sensibilité relationnelle, corporelle et créative. « Inutile de se creuser la tête, il suffit de les laisser tripoter de la pâte à modeler, sentir les fleurs, écouter l’eau s’écouler d’un robinet, grimper aux arbres, toucher un tapis brosse. On stérilise les premières découvertes alors qu’elles sont essentielles. Derniers bastions d’un monde impur, les bacs à sable ont été remplacés par des tapis amortissant les chutes ! Enfin, il ne faut jamais oublier que l’acquisition doit être assortie d’affection, de plaisir et de bonheur à être ensemble sans jamais chercher à rentabiliser le temps passé avec son enfant », insiste cette professionnelle auteur de Nos enfants sous haute surveillance (Éd. Albin Michel).
Manque de repos et d'affectif
Coauteur de cet ouvrage, Catherine Vidal s’insurge quant à elle contre la tentation de réduire nos marmots à leurs cerveaux. « Les enfants ne sont pas des machines cérébrales qu’il faut gaver à grand renfort d’activités et d’enseignement au motif que leur plasticité cérébrale est très développée. Si on les force, ils vont saturer. Pas parce que leur cerveau est plein mais parce qu’il leur manque du repos et de l’affectif », martèle-t-elle. Les neurosciences montrent en effet que des connexions entre les neurones se font et d’autres disparaissent en fonction des apprentissages et des expériences tout au long de la vie.
« La bonne nouvelle, c’est que tout est toujours possible et permis », rassure-t-elle. Loin de vouloir décourager les parents désireux d’aiguiser la curiosité de leur bambin, cette scientifique souhaite seulement insister sur l’importance de mettre du sens sur l’activité proposée : « pour que son enfant tire des satisfactions d’une activité, il faut qu’elle se déroule dans un contexte affectif motivant » souligne-t-elle. En clair, contraindre Junior à faire de l’athlé quand on est soi-même un geek planqué derrière son laptop ou le forcer à jouer d’un instrument quand on ignore ce qu’est une gamme, ne serait pas forcément le meilleur moyen de l’éveiller aux mille merveilles de notre civilisation.
Source : http://madame.lefigaro.fr/enfants/stimule-t-on-trop-les-enfants-281114-82834