Rapport Giampino sur la petite enfance : et si on bousculait un peu la routine ? - Localtis.info -
Rapport Giampino sur la petite enfance : et si on bousculait un peu la routine ?
Petite enfance Publié le mercredi 11 mai 2016
Le 9 mai, Sylviane Giampino, psychanalyste et psychologue de la petite enfance, a remis à Laurence Rossignol, la ministre des Familles et de l'Enfance, son rapport très attendu sur le "Développement du jeune enfant, modes d'accueil et formation des professionnels". Un document qui propose de faire bouger les lignes, n'hésite pas à bousculer les positions acquises... et se veut aussi un guide pour les collectivités territoriales et les autres acteurs de la petite enfance. Y compris en matière de formation des professionnels.
Neuf mois : c'est le temps qu'il aura fallu pour mener à terme ce rapport, dont la commande remonte à septembre 2015 (voir notre article ci-contre du 22 septembre 2015). Il est vrai que le produit final est à la hauteur, avec pas moins de 260 pages et 108 propositions (malheureusement non chiffrées). Le rapport s'éloigne aussi des exercices habituels en la matière, qu'ils émanent du Parlement, du Haut Conseil de la famille ou de la Cnaf.
Penser les réponses en fonction des besoins de l'enfant
Le premier des quatre axes du rapport s'ouvre en effet par une analyse fouillée du développement et de l'épanouissement de l'enfant dans les modes d'accueil individuels et collectifs. On y trouve notamment l'exposé des "douze particularités du développement et de la sensibilité des enfants avant trois ans à connaître pour orienter une politique d'accueil des tout petits".
On y trouve aussi les trois principes pour une approche du jeune enfant dans les modes d'accueil : une vision globale, interactive et dynamique de développement du jeune enfant, une prime éducation pour la prime enfance et une attention précoce pour les modes d'accueil prévenants. Ou encore les cinq dimensions primordiales sur lesquelles doivent se centrer les modes d'accueil pour favoriser le développement et l'épanouissement des enfants avant trois ans : se sécuriser, prendre soin de soi, se repérer dans les relations et s'identifier, se déployer et apprendre et, enfin, se socialiser.
Si le jargon n'est pas toujours absent, cette entrée en matière a le grand mérite de rappeler - au-delà des éléments statistiques et budgétaires - la finalité première des modes d'accueil de la petite enfance et de penser les réponses en fonction des besoins de l'enfant.
Quelle place pour les familles ?
Les trois autres axes rejoignent un schéma plus classique, mais qui reprend les grandes lignes de la lettre de mission. Le premier d'entre eux porte sur les relations avec les familles. Il s'agit en l'occurrence de partir de positions asymétriques et des relations triangulaires entre professionnels, parents et enfants pour "établir et co-construire des liens de réalité", à travers la convergence souhaitable entre le projet d'éducation des parents et le projet d'accueil des professionnels.
Rejoignant les priorités de la Cnaf, le rapport met aussi l'accent sur la nécessité de lever les obstacles à la mixité des modes d'accueil et sur l'importance de l'accompagnement à la parentalité, "dans un registre non normatif". Le document insiste également sur le fait que le mode d'accueil de l'enfant "n'est pas réductible à un service aux parents". Une manière de contrer la montée "des attitudes commerciales ou consuméristes".
Alléger les normes et réglementations sur la sécurité
Le troisième axe s'attache à l'organisation de l'accueil et aux pratiques. Même si on reste un peu perplexe devant les "radars cénesthésiques" des moins de trois ans et sur le fait que "le petit enfant est au départ néotène", ce chapitre n'en comporte pas moins des orientations et des préconisations très concrètes.
Il insiste ainsi sur la priorité à donner au respect des rythmes, aux besoins de fiabilité et de stabilité des liens, des lieux et des temps. Une priorité "devant laquelle des logiques administratives, que ce soit pour la nourriture, le sommeil ou les jeux, devraient s'ajuster". De même, il s'agit de développer l'initiative de l'enfant, tout en lui laissant le temps nécessaire pour trouver son geste ou son mot.
Sur un sujet très sensible, la mission préconise aussi "d'alléger autant que faire se peut les normes et les réglementations relatives à la sécurité, et de rédiger un document précisant ce qui est nécessaire ou seulement recommandé".
Autre dérive pointée par le rapport en matière de modes d'accueil : une "tendance à la surcognitivation dans les Eaje [établissements d'accueil du jeune enfant, ndlr] et chez certaines assistantes maternelles. Cette tendance se manifeste aussi bien chez certains parents que chez les professionnelles par une demande de 'techniques pédagogiques' et d'apprentissages par la répétition suscitée chez les enfants". La mission regrette notamment "que certaines crèches ressemblent aux écoles maternelles, que les activités 'assis à table' se développent et que les parents demandent les dessins des enfants le soir".
Ce constat conduit notamment la mission à remettre en cause deux concepts courants dans les modes d'accueil - la notion d'environnement stimulant et celle de compétence des enfants -, au profit de deux concepts moins "directifs" : les notions d'environnement riche et de capacité ou potentialités des enfants. Pour donner une place accrue à l'éveil artistique, à l'esthétique ou à la nature dans les Eaje, le rapport préconise notamment d'élaborer un protocole d'accord entre le ministère des Familles et de l'Enfance et celui de la Culture.
Professionnels de la petite enfance : "une situation actuelle problématique"
Le quatrième et dernier axe porte sur la formation des professionnels. Il part du constat d'une "situation actuelle problématique", qui se caractérise à la fois par une prochaine vague massive de départs à la retraite - liée à l'âge moyen des professionnels des Eaje - et par des difficultés de recrutement. Pour expliquer ces dernières, le rapport pointe en particulier le manque de places en formations, le caractère "incomplet et hétérogène" de ces dernières, une carrière peu motivante faute de perspectives d'évolution...
Pour sortir de cette impasse, le rapport formule plusieurs propositions qui bousculent l'ordre établi. Tout d'abord, il s'agit de constituer une base commune pour former les professionnels de l'accueil de la petite enfance, ce qui devrait à la fois renforcer le sentiment d'appartenance à une même profession et favoriser à terme les mobilités professionnelles.
De même, le rapport préconise de faciliter l'accès aux formations initiales des métiers de la petite enfance pour répondre à la pénurie de professionnels. Ceci passe notamment par une meilleure utilisation des contrats aidés et des préformations, par un développement des formations en alternance, par un renforcement de la mixité des métiers de la petite enfance, par l'organisation de "passages entre le chômage et l'emploi en modes d'accueil"...
Autre piste : favoriser la professionnalisation et les évolutions par une diversification des formes et contenus des formations continues et de la VAE (validation des acquis de l'expérience), avec notamment une modularisation des diplômes et une reconnaissance des "situations professionnalisantes".
Accroître le professionnalisme des assistantes maternelles
Le rapport préconise aussi d'ajuster les différents métiers des Eaje aux spécificités de l'accueil de la petite enfance et de faciliter l'évolution au sein de la profession. Pour l'accueil collectif, la profession d'auxiliaire de puériculture resterait le métier de base, tandis que les encadrants devraient être mieux formés à un mode de direction participatif, à l'animation d'équipe et aux partenariats locaux.
Du côté de l'accueil individuel, la mission recommande d'"accroître le professionnalisme des assistantes maternelles", en considérant que "le processus de leur professionnalisation, entamé il y a trente ans, reste à mi-chemin". Cette professionnalisation doit s'appuyer sur trois piliers. Tout d'abord, l'agrément - délivré par les présidents de conseils départementaux -, qui doit bénéficier d'un allongement de la durée de la formation initiale obligatoire et de l'organisation de stages dans un Eaje. La formation continue ensuite, dont l'accès doit être simplifié (même si le nombre de départ d'assistantes maternelles en formation continue est en augmentation constante). Les relais assistantes maternelles (RAM) enfin, qui sont "un outil précieux" et dont il faut faire les pivots de la professionnalisation des assistantes maternelles, en renforçant leurs missions d'accompagnement de la formation continue de ces dernières et des auxiliaires parentaux.
"Un outil unique pour les maires qui souhaitent innover"
A la réception du rapport, Laurence Rossignol a souligné "la richesse et la densité du document" - allant jusqu'à évoquer une "démarche holistique" et "une réelle philosophie de la petite enfance" - et confirmé sa volonté de "décloisonner les approches".
La ministre des Familles et de l'Enfance a fortement insisté sur le fait que "ce rapport n'est pas un simple rapport de mission. Il est un véritable guide à destination de tous les acteurs de la petite enfance", afin de permettre un changement de regard.
Laurence Rossignol a notamment évoqué les collectivités territoriales comme "acteurs incontournables de la petite enfance". Pour la ministre, "ce sont aussi les premières destinataires de ce rapport, qui est un outil unique pour les maires qui souhaitent innover en matière de petite enfance". Elle a d'ailleurs suggéré que Sylviane Giampino remette également officiellement les conclusions de sa mission à François Baroin, le président de l'Association des maires de France (AMF).
Au-delà de ce rôle de "guide" conféré au rapport, Laurence Rossignol a annoncé quelques mesures reprises du document, en cours ou à venir, comme l'introduction de ses propositions dans le plan d'action sur les métiers de la petite enfance - qui devrait être présenté "dans les prochains mois" -, l'élaboration d'un "texte cadre national" pour fonder une identité professionnelle commune aux acteurs de l'accueil du jeune enfant, ou encore l'organisation d'une journée ministérielle des professionnels de la petite enfance.
Jean-Noël Escudié/PCA
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