Accueillir le jeune enfant / Qualité et formations des professionnels – Le Furet 16/06/2016
Une interview de Sylviane Giampino sur les préconisations en matière de formation.
1. Quels reproches ou quels manques peut-on faire à la formation initiale actuelle des professionnels de la petite enfance ?
Avant de répondre à votre question, je tiens à rappeler que l’architecture de ce rapport s’organise autour du développement et l’épanouissement du jeune enfant. 12 particularités développementales des moins de 3 ans y sont définies pour orienter les politiques d’accueil grâce à un consensus scientifique, ainsi que 3 grands principes pour cadrer la démarche. De là 5 dimensions primordiales à mettre en oeuvre sont dégagées pour guider l’accueil des tout petits. C’est sur cette base, une connaissance du jeune enfant, que le rapport traite 4 axes: la relation entre les modes d’accueil et les familles, l’organisation des mode d’accueil dans le pays, les pratiques d’accueil au profit de l’épanouissement des enfants et enfin la déclinaison de cet ensemble là pour la formation des professionnels. C’est le pari réussi de la mission que d’avoir mélangé les disciplines et les positionnements à la fois dans la commission officielle représentative, et la fois dans les groupes de travail et les auditions. De plus à mi-chemin, les premières conclusions ont été présentées lors d’un débat public le 15 janvier 2016 qui a réuni 150 personnes. En dressant les diagnostics, nous nous sommes aperçus que la formation des professionnels comme les modes d’accueils s’est construite au fil de l’histoire en un ensemble baroque et pluriel. On pourrait penser que la solution serait d’homogénéiser les formations et de créer une profession unique, or la réflexion commune nous a conduit à d’autres conclusions. En effet le premier des 12 caractéristiques du développement dégagés par la commission stipule que le jeune enfant est multimodal. Les sphères de son développement, physique, cognitif, social, affectif, sont non seulement inséparables mais interagissent les unes sur les autres dans une dynamique en spirale. De là, il est apparu que la bonne approche du jeune enfant doit être plurielle et qu’on a tout à gagner à garder des métiers différents mais des troncs communs de formation pour l’accueil et l’éveil du tout petit et le travail avec les parents ainsi que pour qu’il y ait plus de passerelles entre les types d’accueil et les métiers. Le fait qu’il y ait des professions issues du social, de la santé, et de l’éducatif est plutôt une chance pour les enfants. Ce serait une grande perte que de renvoyer les formations sociales au social et à des fonctions de direction et d’encadrement, tout comme de renvoyer les formations sanitaires à l’hôpital et à la santé et d’en priver les modes d’accueil pour ne penser qu’en terme éducatif. Actuellement, en France, l’éducation des enfants est trop largement pensée sous l’angle d’une approche pré-scolaire. La prise en compte du parcours singulier du développement du chaque enfant se perd. De plus, les connaissances actuelles en matière de développement du jeune enfant montrent que celui-ci n’est pas linéaire et ne procède pas par pallier accumulatifs mais par vagues. Compte tenu de cela, si le modèle scolaire des acquisitions par pallier vient gagner la petite enfance, on va se tromper. FORMATION ET PRÉCONISATIONS Il nous faut faire comprendre aux parents qui par inquiétude autant que certains professionnels ont des attentes de performances, que celà induit une surcognitivisation trop précoce. Et qu’au petit âge, si l’on sur-stimule une sphère du développement, cela se fait au détriment d’une autre. Un jeune enfant équilibré va développer l’ensemble de ces potentialités, pour lui tout est à la fois motricité, langage, jeu, affectivité apprentissage etc…
2. Comment alors réajuster la formation des professionnels ? Quels principaux changements sont à opérer ? Quelles sont vos propositions ?
Au long de cette mission, est apparu que cette multiplicité métiers pouvait constituer une richesse mais pas en l’état, des transformations sont à opérer.à tous les étages des responsabilités et pour tous les métiers. A prendre en compte cependant le fait que du point de vue de l’enfant, son vécu de son mode d’accueil, tient à celles (et ceux) qui s’occupent directement de lui. Ce sont donc les acteurs de première ligne : Assistant-e-s maternel-le-s, auxiliaires de puériculture, titulaires de CAP petite enfance... dont on doit prendre soin pour qu’elles prennent bien soin des enfants. Les professionels de seconde ou troisième ligne, qui dirigent, coordonnent, encadrent doivent veiller à l’oganisation des modes d’accueil, et leur intelligence de telle sorte que cela se passe bien pour les enfants et les familles ainsi que pour les professionnels. C’est plus facile à dire qu’à faire, car il faut retourner la pyramide hiérarchique. Ce sont les supérieurs hiérarchiques qui sont au service de la qualité et du plaisir du travail des professionnels de première ligne. Pour ceux-ci il est certain qu’il faut en former plus et les former mieux. Aussi, la formation des auxiliaires de puériculture devrait être modularisée pour que les aspects relation, éveil, animation, création de projets, relation avec les familles, accompagnement à la parentalité soient plus développés. Les formations d’éducateurs de jeunes enfants, est plus adaptée aux besoins des structures. Le projet dont on se félicite est de valoriser ce diplôme et ses équivalences au système LMD. Néanmoins, resserer le rôle des EJE en responsables, coordinateurs , encadrants les éloignera des enfants et des familles, alors que ce métier a été conçu pour les modes d’accueil. C’est dommage. Que les EJE reçoivent une formation à l’encadrement, certes mais il faut en garder auprès des enfants. Enfin, on forme, en France, depuis quelques années un nombre très important de «CAP petite enfance». Certificat qui ne donne même pas un nom de métier à ceux qui l’ont obtenu.. La mission préconise deux choses. La première, c’est de leur donner un nom. Il devrait s’appeler « assistants d’accueil petite enfance ». La deuxième serait de leur donner une formation mieux adaptée à l’accueil des moins de 3 ans. A ce jour, leur formation est une formation éducation nationale qui n’est pas adaptée. Elle est en cours de refonte. J’ai l’espoir que les préconisations de la mission contribuent à un meilleur ajustement de cette formation au travail avec les tout petits et leurs parents. Le problème est que ce diplôme est entre les mains de l’éducation nationale. Que d’autres sont entre les mains du ministère de la santé, ou aux affaires sociales. Que la formation continue est entre les mains des régions et celle des assistantes maternelles des départements. Ce sur quoi notre pays butte, ce n’est pas qu’il y ait plusieurs métiers pour un accueil pluridimentionnel, mais que le gain en professionnalisme des modes d’accueil dépend d’un travail interministériel convergeant et entre collectivités. Je ne doute pas de la motivation de madame Rossignol, mais le gros du travail pour améliorer les formations se mène à ces niveaux.
3. Le rapport souligne aussi la nécessité d’une professionnalisation tout au long de l’activité ? Sous quelles formes ?
Il faut absolument avancer sur la formation continue. Il est bon de rappeler qu’elle est un droit aussi bien dans l’accueil collectif qu’individuel mais qu’elle n’est toujours pas une obligation, ni pour les collectivités territoriales, ni pour les parents qui sont les employeurs des assistant-e-s maternel-le-s. De plus, la mission a développé l’idée d’un système innovant d’inscription et de valorisation de ce que nous avons appelé «les situations professionnalisantes» dans lesquelles les professionnels de la petite enfance s’inscrivent volontairement et participent, souvent sur leur temps personnel. Ces situations professionnalisantes comprendraient la participation à des colloques, à des projets locaux, des semaine de la petite enfance, du livre, de journées d’art et de culture... Est très professionnalisant aussi le fait d’accueillir un enfant porteur de handicap, de maladie ou en situation familiale fragilisée. Je préconise aussi que les assitant-es maternelles puissent encadrer des stagiaires, en lien avec des écoles de formation et l’accord des parents. A l’heure actuelle, ces situations sont complètement transparentes alors que certains professionnels se documentent, travaillent et apprennent tout le temps. Aussi, donner de la visibilité à ces expériences professionnalisantes, les inscrire, c’est déjà reconnaître l’importance d’être apprenant permanent en tant que professionnel de l’accueil du jeune enfant. C’est pourquoi, j’ai préconisé qu’on réfléchisse à un système sur le mode du livret individuel de formation, le LIF, pour que les professionnels eux–mêmes, puissent rendre compte et, de ce fait, gagner en estime de soi professionnel, de l’importance de tout ce qui fait que le métier de professionnel de la petite enfance n’est ni une occupation, ni un ouvrage de dame. Il faudra encore travailler la prise en compte de cet engagement professionnel volontaire dans une progression professionnelle dans les VAE. Ceci fait partie avec la réflexivité et la pluridisciplinarité de ce que j’ai appelerle «renforcement de la plasticité cérébrale des modes d’accueil».
5. L’accueil individuel fait aussi l’objet de ce rapport ; il décrit la formation actuelle de l’assistant maternel comme un» professionnalisation à mi-chemin» - Comment l’améliorer ?
Le constat est qu’il y a un écart certain de professionnalisation entre l’accueil individuel et l’accueil collectif. Il est certain que les assistants maternels ne sont pas suffisamment formés. Leur formation initiale, les contenus et les niveaux sont très hétérogènes. Même si le nombre d’heures de formation initiale est fixé par la loi, elle reste insuffisante. De plus, les assistant-e-s maternel-le-s malgré quelques efforts récents n’accèdent pas suffisamment à la formation continue. Aussi, il faut promouvoir une formation continue verticale et horizontale pour tous les professionnels qui facilite le passage d’un type d’accueil à un autre. Formation verticale, qui consiste à progresser dans les métiers et dans les fonctions et formation horizontale qui permet le passage d’un type d’accueil à un autre en fonction des temps de vie des personnes. Si les assistant-e-s maternel-le-s sont les moins bien formées, elles ont fort heureusement conquis un statut et bénéficient de convention collective. Elles ont bien avancé dans leur professionnalisation mais leur formation proprement dite reste insuffisante. Pourtant, les organismes représentant les assistant-e-s maternel-le-s demandent des formations plus qualifiantes. On leur propose le CAP petite enfance et en même temps on sent que celui-ci n’est pas adapté. C’est une situation paradoxale. La mission préconise plusieurs solutions, notamment en élargissant le rôle des RAM en lien avec la PMI, pour en faire un pivot de la socialisation, du soutien et de la formation des assistant-es maternels et des quelques auxiliaires parentaux sur les secteurs où ils sont présents.
6. Un diagnostic national, des arguments, et 106 préconisations. Un rapport qui remet beaucoup de choses à plat et les relie entre elles. Une révolution ! Comment ses orientations vont être mises en œuvre ? Quelle chance de succès ?
Le succès viendra de la motivation de tous à le faire appliquer. La ministre Laurence Rossignol a déjà pris des engagements pour l’automne. Le succès viendra aussi je l’espère de la façon dont ce rapport a été réalisé. La commande était de piloter une mission indépendante, centrée «autour d’un axe clair, celui des besoins de l’enfant pour orienter un projet d’accuel cohérent et la formation des professionnels», avec l’appui des services techniques de la cohésion sociale. Consulter et dégager un consensus. J’ai choisi une méthodologie de travail, scientifique, participative et transparente, qui rassemble plus de 120 personnes et organisations. Ils ont travaillé ensembles en croisant les points de vue des professionnels de terrain, des familles, des formateurs, des gestionnaires de mode d’accueil, des universitaires des 6 disciplines concernées par l’accueil du jeune enfant, dont la culture. Le rapport est le fruit d’un travail collectif qui mène aux 106 préconisations, pour lesquelles je ne me suis pas occupée de savoir si cela allait être possible, coûteux ou pas. Est préconisé ce qui est souhaitable pour l’accueil des jeunes enfants et de leur famille. Le rapport est un outils public qui appartient à tous. Il est fait pour être discutté, dépecé, pillé, servir d’appui, d’argument pour la réflexion et l’action à tous les niveaux.
Interview pour le Furet de Sylviane Giampino 16 juin 2016