La famille revient au Parlement - La Croix - 06 mai 2014
Après le report du projet de loi famille, les députés s'étaient engagés à en reprendre les principales dispositions sous forme de propositions de loi. La première d'entre elles, intitulée "autorité parentale et intérêt de l'enfant", doit être examinée en commission des lois ce soir et demain. Elle renforce l'exercice conjoint de l'autorité parentale, développe la médiation et crée surtout de nouveaux outils pour reconnaître formellement la place du beau-parent.
Alors que les élus s'apprêtent à plancher sur le statut du beau-parent, des spécialistes s'interrogent sur l'opportunité de lui accorder une reconnaissance légale. Pour certains, l'enfant sait parfaitement se repérer parmi les différents adultes qui l'entourent, sans qu'il soit besoin de formaliser la nature de ses relations avec le nouveau conjoint de son père ou de sa mère. Pour d'autres, la reconnaissance de la place du beau-parent dans la loi pourrait toutefois avoir un effet bénéfique, en permettant d'apaiser les conflits entre adultes.
Famille, acte II. Après les turbulences nées de l'adoption de la loi sur le mariage ouvert aux personnes de même sexe, le gouvernement avait reporté sine die son projet de loi sur la famille. Des députés socialistes et écologistes ont repris l'initiative avec une proposition de loi en discussion à partir d'aujourd'hui à l'Assemblée nationale.
Celle-ci, intitulée « Autorité parentale et intérêt de l'enfant », ou Apie (lire page 3), se propose de «clarifier la place du beau-parent dans la famille, donnant ainsi des repères aux enfants ».Le sujet se veut non polémique. Il n'en pose pas moins plusieurs questions.
L'enfant a-t-il réellement besoin que la loi clarifie la place et le rôle des adultes autour de lui? « En vingt ans, je n'ai jamais entendu un enfant réclamer que l'on prenne mieux en compte son beau-parent, répond Sofia Chraibi, psychologue clinicienne et psychanalyste. Ça ne leur traverse pas l'esprit. C'est une préoccupation d'adulte. » Pour cette spécialiste, l'enfant sait bien qui sont ses parents et que c'est avec eux qu'il se construit. « Le lien de filiation avec les parents régule la vie affective des enfants, confirme le pédopsychiatre Christian Flavigny. Ce lien construit et protège, il est immuable. L'enfant sent très bien, naturellement, que ce n'est pas la même chose qui est en jeu dans sa relation avec le
beau-parent. »
S'il y a confusion dans l'esprit des enfants, ce serait en réalité plutôt le fait des adultes. L'un des parents peut avoir tendance, par exemple, à dévaloriser l'ex-conjoint au profit du nouveau, voire à l'effacer peu à peu. « Avant l'âge de 5 ans, l'enfant n'est pas suffisamment armé pour lutter contre ces confusions, affirme Sylviane Giampino, psychologue pour enfants et psychanalyste. Elles risquent de créer chez lui un conflit interne entre ce qu'il ressent de sa relation avec les adultes et ce qu'on l'incite à penser. C'est aux adultes d'être rigoureux et de ne pas se prendre pour ce qu'ils ne sont pas. »
Le plus important, dans la stricte perspective de l'intérêt de l'enfant, ne serait donc pas tant que la loi donne une place formelle au beau-parent, mais plutôt qu'elle réaffirme celle des deux parents dans la vie de l'enfant. C'était la logique de la loi de 2002, qui a consacré le principe de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, au-delà de la rupture. En favorisant le développement de la médiation familiale, la proposition de loi Apie va aussi dans ce sens. L'enjeu de la médiation est en effet de réussir à faire dialoguer deux parents, chacun respectant la place de l'autre ainsi que ses droits et ses responsabilités.
Plus chacun est sécurisé dans sa relation à l'enfant, plus l'enfant pourra créer avec le beau-parent une relation « de réalité et de qualité » selon l'expression de Sylviane Giampino: « Celle-ci peut même parfois être meilleure qu'avec le parent, mais elle ne peut jamais s'y substituer. » Un père, même délaissant, reste un père. Le beau-parent, lui, peut assumer un rôle essentiel et complémentaire de «relais parental, de soutien affectif, voire d'adulte tutélaire, précise la psychologue. Ce sera une relation d'autant plus constructive pour l'enfant que le beau-parent maintiendra, en parole, la place de celui qui est absent. »
Pour les familles capables de trouver cet équilibre et ce respect, nul besoin, du point de vue de l'enfant, d'une reconnaissance pour clarifier le rôle de chacun. La loi viendrait donc plutôt répondre aux cas les plus compliqués, quand un parent refuse, par exemple, de laisser une place au nouveau venu. « On ne forme pas, d'emblée, une famille recomposée, on le devient, explique la psychologue Agnès de Viaris. C'est un apprentissage progressif, du deuil à l'acceptation, qui peut prendre toute une vie. » L'arrivée d'un beau-parent, parfois avec ses propres enfants, demande en effet un formidable travail d'adaptation, en particulier pour ceux, enfants et ex-conjoints, qui ne l'ont pas choisi.
Le risque, en instituant un statut trop rigide ou systématique, serait donc de brusquer ce fragile processus, voire de créer, dans les situations les plus conflictuelles, un nouvel instrument de crispation ou de chantage: un parent pourrait, par exemple, menacer de ne pas signer le « mandat d'éducation quotidienne » instauré par la loi. « Le problème de fond est qu'on a tendance à vouloir mettre tout le monde sur un pied d'égalité, observe Sylvia Chraibi. Égalité de droits sur l'enfant, égalité du temps de résidence… Mais cela ne se passe pas comme ça d'un point de vue psychologique. »
L'enfant, lui, hiérarchise et jongle avec ses différentes relations complémentaires. Chaque pas de plus vers un statut du beau-parent qui tendrait à aplanir ces différences risque donc de lui apporter plus de confusion que de clarté.
Sceptique aussi, Agnès de Viaris s'étonne que la question du beau-parent ne soit généralement abordée que sous le seul angle des droits nouveaux: « Mais qu'en est-il des devoirs et des responsabilités? Le beau-parent est-il prêt à s'engager durablement dans la vie de l'enfant? » Car, contrairement à la loi, définitive, les recompositions ne sont pas gravées dans le marbre: la rupture du nouveau couple entraîne généralement la rupture des liens avec les enfants.
« Le beau-parent est là parce qu'il a choisi la mère ou le père, pas l'enfant, souligne aussi Sofia Chraibi. Paradoxalement, c'est le couple qui fait le beau-parent. Les enfants, d'ailleurs, le savent bien et, même s'ils ont de bonnes relations avec leur beau parent, ils ne demandent pas à garder un lien avec lui après la séparation. »
Le risque de nouvelles ruptures ou de recompositions multiples, très déstabilisantes pour l'enfant, ne doit néanmoins pas occulter la réalité des nombreuses familles où les beaux-parents assument, pleinement et dans la durée, leur rôle auprès de leurs beaux-enfants. Or, pour la loi, actuellement, le beau-parent n'est pas plus qu'un oncle ou qu'un grand-parent. « Élever les enfants des autres au quotidien n'est pourtant pas une chose facile. C'est un investissement qu'il serait juste de reconnaître », estime ainsi Sylviane Giampino. Dans l'intérêt de l'enfant, cela permettrait d'éviter que le beau parent, frustré et blessé de cette absence de reconnaissance, ne s'empare lui-même de cette place, par un ascendant affectif ou éducatif sur l'enfant, forcément négatif. « Il faut écouter la souffrance de ceux qui revendiquent un statut », estime Agnès de Viaris.
C'est ce complexe équilibre entre respect de l'enfant et apaisement parental que cherche le « mandat d'éducation quotidienne ». Sa souplesse repose sur le fait qu'il doit être signé et accepté par les deux parents. « En cela, il représente une forme d'intronisation formelle du tiers par le couple parental, observe Marie-Claude Mietkiewicz, maître de conférences en psychologie clinique à Nancy. Cela peut permettre à l'enfant de sortir du conflit de loyauté vis-à-vis du parent absent, qui l'empêche de s'attacher au beau-parent par peur de trahir le parent. » Sauf qu'en requérant, en préalable, l'accord des deux parents, le mandat risque finalement de n'être que de peu d'utilité: inutile pour les familles apaisées, impossible à signer pour celles qui se déchirent.
THOMASSET Flore
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